Alors que le Cameroun figure parmi les principaux producteurs de cacao en Afrique, la certification du cacao n’est pas une pratique très répandue, avec moins d’un quart de la production nationale. Pourtant, en adressant les exigences environnementales, sociales et économiques de la production du cacao, la certification du cacao durable par exemple de Rainforest Alliance ou Fairtrade vise en théorie à répondre aux enjeux de déforestation et à celui de la pauvreté en milieu rural. Ces questions sont d’autant plus importantes au Cameroun que le pays a décidé de relancer sa filière cacao en souhaitant doubler sa production d’ici 2030. Or le secteur du cacao fait face à des exigences nouvelles depuis une dizaine d’années en réponse à la demande croissante de chocolat su le plan mondial, et aux demandes des consommateurs de réduction de son empreinte environnementale et maximisation de son impact socio-économique sur les producteurs.
La certification du cacao est-elle un avantage pour les petits producteurs camerounais ?
Les systèmes privés de certification, qu’ils appliquent au cacao ou à d’autres commodités agricoles ou forestières, font l’objet de nombreuses analyses critiques qui leur reprochent notamment leur faible emprise spatiale – ils peinent à toucher le plus grand nombre de producteurs – et des défaillances techniques qui fragilisent leur crédibilité. Ces critiques sont légitimes et poussent les standards sérieux de certification à améliorer leur contenu et leurs pratiques.
Toutefois sur le terrain au Cameroun, il s’avère que les producteurs de cacao certifié tirent un plus grand profit de leur activité que ceux qui ne sont pas engagés dans ce genre de certification. C’est ce que montre un article scientifique récent intitulé Influence positive de la certification sur la performance financière des modèles de production cacaoyère au Cameroun. Pour arriver à ce constant, les deux auteurs de l’article, Guillaume Lescuyer (chercheur associé au Centre de recherche forestière internationale) et Simon Bassanaga, font une analyse comparative des comptes d’exploitation moyens des quatre principaux modèles de production de cacao :
- Modèle 1 : Les petites plantations de cacao en zone forestière sans soutien extérieur se caractérisent par de faibles rendements à l’hectare. Les producteurs de ce groupe ne reçoivent pas de subventions publiques et dépendent principalement d’une main-d’œuvre domestique. Ils vendent généralement leur cacao à bas prix en raison de sa mauvaise qualité et des conditions défavorables de négociation avec les acheteurs informels. Ces facteurs limitent la rentabilité de ce type de production, qui rapporte un bénéfice net de 4 %.
- Modèle 2 : Les propriétaires de petites plantations en zone forestière qui sont engagés dans une approche de certification adoptent un modèle de production plus intensif. Cela s’explique à la fois par des appuis extérieurs qui diminuent une partie de leurs coûts de production et par une petite prime à la vente du cacao. Ces deux facteurs contribuent à améliorer la performance financière de ce modèle de production, générant un taux de profit net de 24%.
- Modèle 3 : Les propriétaires de petites plantations de cacao en zones peu forestières – principalement dans le « grand Mbam » – qui sont impliqués dans une démarche de certification bénéficient des mêmes avantages financiers, mais qui sont un peu réduits en raison du coût technique supérieur de production dans cette zone ou du coût salarié de la main d’œuvre. Leur taux de profit net est de 14 %.
- Modèle 4 : les propriétaires de cacaoyères de taille moyenne (5-20ha)tendent à développer une approche capitalistique de la cacaoculture. Leurs investissements reposent sur des plans d’affaires solides, qui ne dépendent pas de subventions privées ou publiques. Leur taux de profit net est de 9 %, mais leur valeur ajoutée est la plus élevée de tous les types de cacaoculteurs.
Au total, si on s’en tient à la seule analyse des taux de profit, l’engagement dans la certification est associé à une plus-value pour le petit producteur. Comme le rappelle Guillaume Lescuyer, « cela ne veut pas dire que la certification privée est une panacée au Cameroun : elle fait encore face à des obstacles techniques, comme la traçabilité, et s’adresse à des producteurs en capacité de s’y conformer. Mais d’un strict point de vue financier, pour un petit cacaoculteur, mieux vaut être certifié que pas ». L’article rappelle toutefois aussi que ce surplus de profit ne peut sans doute pas être attribué à la seule certification puisque de nombreuses variables sont susceptibles d’influencer le niveau de profit, comme la bonne gouvernance de la coopérative ou la formation reçue antérieurement par les producteurs.
Vers une gouvernance hybride de la chaîne de valeur du cacao
La libéralisation de la production cacaoyère au Cameroun et le développement de la certification privée ont affecté la gouvernance de la filière cacao. Alors que les services publics disposent de moyens réduits pour soutenir son développement, le secteur privé a compensé dans une certaine mesure, en mettant en place des systèmes de certification. Cependant, les interactions entre les instruments publics et privés de gouvernance dans le secteur du cacao loin d’être uniquement une question de substitution, sont en réalité de l’hybridation et de la symbiose qui affectent simultanément différentes variables de gouvernance.
Les conditions internationales et nationales sont désormais réunies pour une approche de gouvernance mixte de la filière cacao au Cameroun. Cette approche mixte reconnaît que le secteur privé peut jouer un rôle substantiel lorsqu’il s’agit d’améliorer les performances des producteurs de cacao et de répondre aux pressions du marché, principalement à travers la certification de durabilité. Néanmoins, le rôle de la certification privée serait encore plus efficace s’il était clairement combiné avec les fonctions de régulation et de promotion du secteur de l’État. Ce type de gouvernance mixte de la filière cacao au Cameroun reste à développer.
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