À Kisangani, troisième plus grande ville de la République démocratique du Congo (RDC), la COVID-19 a impacté l’industrie du charbon de bois dont dépendent plus de 1,8 million d’habitants pour satisfaire leurs besoins énergétiques quotidiens, mettant ainsi les forêts en danger.
D’après un nouveau rapport du Centre de recherche forestière internationale et du Centre international pour la recherche en agroforesterie (CIFOR-ICRAF), les difficultés supplémentaires qui ont affecté l’approvisionnement et le transport du charbon de bois essentiel pendant la pandémie ont rendu plus difficile la promotion de la durabilité dans le secteur.
Jolien Schure, associée au CIFOR-ICRAF et auteur principal a ainsi déclaré : « Tout au long de cette période, les négociants et les producteurs en charbon de bois devraient être soutenus, afin d’assurer les moyens de subsistance et veiller à ce que les besoins énergétiques des communautés soient satisfaits. Ceci est essentiel pour permettre des résultats durables dans les zones boisées de la région ».
Les marchés de Kisangani sont approvisionnés par les producteurs de charbon de bois des paysages forestiers voisins, tels que la Réserve de biosphère de Yangambi, via des voies navigables et routières. Habituellement, le charbon de bois est produit en abattant des arbres dans les champs et la brousse, et en utilisant des techniques de carbonisation traditionnelles. Néanmoins, de nouvelles initiatives encouragent une carbonisation améliorée qui nécessite moins de bois, ainsi que la plantation d’arbres à croissance rapide.
Pour les communautés qui combinent souvent cultures itinérantes et production de charbon de bois, le commerce du charbon de bois est l’un des seuls moyens de gagner un revenu en espèces, qui permet de subvenir aux besoins de base des ménages (tels que l’achat de nourriture, les frais de scolarité et les soins de santé). Pourtant, cette industrie reste largement non réglementée, ce qui signifie qu’en cas de crise, les familles disposent de peu de soutiens sociaux pour s’assurer que leurs besoins fondamentaux sont comblés.
Depuis que le premier cas de COVID-19 en RDC a été signalé en mars 2020, l’industrie du charbon de bois a dû traverser une période caractérisée par une instabilité des réglementations, des marchés et de la disponibilité de la main-d’œuvre. Le rapport a constaté que la pression de ces nouvelles incertitudes a impacté chaque niveau de la chaîne de valeur du charbon de bois d’une manière ou d’une autre, des producteurs, jusqu’aux vendeurs et acheteurs.
Des moyens de subsistance interrompus
Dès le début, les confinements décidés par les autorités gouvernementales ont limité la capacité des producteurs et des vendeurs à transporter le charbon de bois via le fleuve Congo.
Par conséquent, l’approvisionnement a été réduit des bassins fluviaux adjacents au fleuve qui pouvaient atteindre les marchés de Kisangani, et a entraîné une hausse des prix du charbon de bois. Les sacs de bois énergie qui se vendaient généralement à 500 francs congolais (soit 0,25 dollar) et 1 000 francs congolais (soit 0,50 dollar), contenaient désormais moins de charbon de bois.
En parallèle, les restrictions de voyage ont entraîné une augmentation du coût de la nourriture et d’autres produits essentiels, créant un effet de tenaille sur les finances personnelles de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur du charbon de bois.
Bien que le charbon de bois soit essentiel pour répondre aux besoins énergétiques quotidiens de la région, les vendeurs réalisent moins de ventes qu’auparavant. En effet, d’après les personnes interrogées, les clients préfèrent acheter en gros et éviter les lieux de rassemblement public.
De plus, les vendeurs ont fait état d’un nombre croissant d’incidents avec les instances de contrôle, qui imposaient des « amendes non officielles » de 5 000 francs congolais (soit 2,5 dollars) aux personnes qui ne portaient pas de masque au marché.
Pendant cette période, dans la zone d’approvisionnement de Yangambi, la production a diminué en raison de la pénurie de main-d’œuvre. Le travail physiquement exigeant demandé pour la production de charbon de bois est généralement effectué par de grands groupes auto-organisés, qui se partagent le travail par roulement. Depuis la pandémie, les réglementations gouvernementales et les gestes barrières ont eu pour conséquence que moins de personnes participent aux équipes de travail, laissant les producteurs individuels gérer la lourde charge de travail seuls ou en petits groupes.
En dépit de ces tensions sur l’industrie, seulement 18 % des acheteurs interrogés ont effectivement signalé des changements dans l’approvisionnement en charbon de bois par rapport aux niveaux pré-pandémiques, ce qui signifie qu’ils n’ont remarqué aucun changement dû à la COVID-19, et qu’ils ont pu continuer à s’approvisionner comme en temps habituel.
Cela révèle que lorsque l’approvisionnement en charbon de bois par des sources habituelles a été réduit, d’autres acteurs sont intervenus, transportant le charbon de bois d’autres sources à vélo ou en pirogue, via des rivières plus petites. D’après J. Schure, le commerce s’est donc déplacé vers d’autres routes moins contrôlées.
Selon J. Schure : « Pendant la COVID-19, il a été difficile pour les producteurs de charbon de bois les plus réguliers dans les principales zones de production le long du fleuve Congo de maintenir l’activité et la quantité de production. En revanche, ce manque de production a rapidement été comblé par d’autres, ceux qui ont perdu leur emploi, ou les étudiants qui ne pouvaient plus se rendre à l’école.
Cette augmentation de fournisseurs de charbon de bois nouveaux et ‘un peu au hasard’ ne favorise pas les pratiques durables. En effet, la nouvelle main d’œuvre manque d’expérience pour assurer une carbonisation efficace et est moins susceptible de participer dans la gestion des prochaines plantations d’arbres ».
De plus, les ménages qui ont signalé un accès réduit au charbon de bois ont été confrontés à de graves conséquences. En effet, environ 54 000 personnes dans la ville ont connu l’insécurité alimentaire en raison de l’augmentation du prix du charbon de bois et de la diminution de l’approvisionnement.
Selon l’étude, ils ont signalé des changements de comportement, notamment la réduction du nombre de repas préparés, la réduction de la quantité de certains aliments consommés, ainsi que la réduction de la quantité de charbon de bois et de bois de chauffage utilisée en une seule fois.
Protéger les industries informelles
Si les conséquences que la COVID-19 a eu sur le commerce du charbon de bois en RDC ont varié d’un individu à l’autre, en fonction de leur localisation géographique et de leur situation personnelle, la maladie a révélé les vulnérabilités du secteur informel dans son ensemble.
Lwanga Kasereka Muvatsi, consultant en recherche et co-auteur de l’étude, rappelle ainsi : « Pendant la pandémie, les producteurs de charbon de bois dans les zones d’approvisionnement et les vendeurs dans la ville de Kisangani n’ont reçu aucun soutien de la part du gouvernement. À Kisangani, il n’existe aucune entité responsable pour contrôler ou atténuer les effets de la COVID-19 au niveau de la production et des marchés ».
Grâce aux projets « Gouvernance des paysages multifonctionnels en Afrique subsaharienne : gestion des compromis entre les impacts sociaux et écologiques » (GML) et « Formation, Recherche, Environnement dans la Tshopo » (FORETS) financés par l’Union européenne (UE), le CIFOR travaille depuis 2019 à promouvoir la production durable de charbon de bois dans les communautés autour de Kisangani.
L’étude conclut que comme les producteurs de charbon sont plus susceptibles de s’engager dans une récolte de bois non durable et d’opter pour des pratiques de carbonisation inefficaces en période d’instabilité, l’amélioration de leur organisation, de leur gestion sylvicole et de leurs compétences en matière de carbonisation est essentielle pour éviter la dégradation forestière.
D’après J. Schure, l’instabilité résultant de la COVID-19 menace ces efforts : « Lorsque les producteurs et les négociants en charbon de bois rencontrent des difficultés pour s’en sortir, et que de nouveaux producteurs comblent ce vide ‘un peu au hasard’, il devient alors très difficile de participer dans des activités plus durables ».
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