, Friday, 13 Nov 2020

Vers la fin du 19e siècle, les géographes et botanistes européens se sont investis dans l’établissement d’une nomenclature qui permettrait de classer la foisonnante végétation africaine. En cherchant à mieux comprendre les vastes territoires colonisés par leurs pays, ils espéraient contribuer à une meilleure utilisation des terres et à une gestion des ressources naturelles plus efficiente.

Ils comprirent rapidement que la tâche serait colossale étant donné que l’Afrique est un continent mégadivers. De la savane soudanienne orientale aux forêts claires du miombo de la vallée du Zambèze, les Européens se sont retrouvés à décrire et cartographier une biodiversité encore jamais observée ailleurs dans le monde.

Les scientifiques se sont donc attelés au projet ambitieux de produire une littérature et des cartes pratiques de cette végétation. Mais l’absence de coopération internationale et la disparité des méthodes et des concepts empêchaient le classement systématique des travaux d’auteurs différents.

Pour remédier à cette difficulté, le Conseil scientifique pour l’Afrique au Sud du Sahara (CSA) convoqua en 1956 une conférence de phytogéographie, tenue dans la station de recherche de Yangambi au Congo belge.

Située près de la ville de Stanleyville (aujourd’hui Kisangani), en plein cœur de la forêt tropicale dense à feuilles persistantes du bassin du Congo, Yangambi hébergea le siège de l’Institut National pour l’Étude Agronomique du Congo Belge (INEAC). Fondé dans les années 1930, il devint rapidement le centre de recherche sur la foresterie et l’agriculture tropicales le plus respecté d’Afrique, accueillant des centaines de scientifiques et de techniciens spécialisés dans diverses disciplines telles que la botanique, la climatologie, la sylviculture et l’écologie.

La conférence de Yangambi, qui a duré plus de dix jours, est la première à avoir abordé la question des divergences linguistiques entre scientifiques anglophones et francophones et à encourager une coopération entre puissances coloniales.

On peut citer, parmi les éminents participants, le forestier André Aubréville et l’explorateur Théodore Monod pour la France, les botanistes Ronald William John Keay et Paul Westmacott Richards pour la Grande Bretagne, ainsi qu’une dizaine de représentants des gouvernements de Belgique, France, Grande Bretagne, Portugal, Fédération de Rhodésie et du Nyassaland (la Zambie, le Zimbabwe et le Malawi actuels), ainsi que l’union d’Afrique du Sud (aujourd’hui la république d’Afrique du Sud).

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La conférence s’est conclue par un accord international recommandant l’établissement d’une nomenclature et d’une définition harmonisées des différentes formations végétales tropicales et subtropicales d’Afrique. Cette classification a servi de base à la première version bilingue d’une carte de la végétation de l’Afrique au sud du Tropique du Cancer, publiée par l’UNESCO en 1958.

« La classification de Yangambi ne s’est pas focalisée, comme d’autres initiatives, sur un la production d’un répertoire d’espèces, mais elle a décrit dans le détail la végétation de chaque type de forêt », commente Hans Beeckman, chef du service de Biologie du bois du Musée royal de l’Afrique centrale (MRAC) en Belgique. « Ces informations sont encore très utiles pour quantifier la biomasse des forêts et cartographier les stocks de carbone. »

Faisant suite à une série de révisions visant à corriger certaines lacunes de l’accord, le forestier britannique Frank White publia en 1983 une nouvelle version de cette carte. Depuis, de nombreuses autres publications ont suivi pour suggérer des modifications et des ajouts, mais la classification de Yangambi reste la base de tous les systèmes modernes.

« Les générations suivantes de forestiers qui ont étudié le continent africain ont été durablement influencées par l’accord de Yangambi », fait remarquer Robert Nasi, directeur général du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR). « Le passage de l’étude de la botanique (l’examen des espèces) à la phytogéographie (l’étude des types de végétation) a été un point de bascule dans l’histoire de la foresterie et de l’écologie végétale. »

Reconnaissant les contributions scientifiques apportées à Yangambi à la réconciliation des objectifs de conservation de la biodiversité et de l’utilisation durable des ressources, l’UNESCO déclara une réserve de biosphère de 235 000 hectares de forêt à Yangambi en 1978.

Un pôle moderne dédié à la foresterie

Après des décennies de coupes budgétaires et de négligence, la station de recherche de Yangambi a retrouvé ses lettres de noblesse. Depuis 2007, le CIFOR mène des projets financés par l’Union européenne pour consolider le rôle de Yangambi en tant que « laboratoire à ciel ouvert » pour l’étude du bassin du Congo.

Véritable modèle de collaboration académique internationale entre les institutions congolaises et étrangères, ses interventions portent en particulier sur la recherche appliquée pour la protection de la riche biodiversité de la RDC et l’amélioration des moyens de subsistance des communautés rurales.

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Par exemple, les scientifiques du MRAC et de l’Université de Kisangani (UNIKIS) cherchent actuellement à favoriser la régénération naturelle de l’Afrormosia (Pericopsis elata), une essence d’arbre menacée mais d’une grande valeur sur le marché du bois d’œuvre. Ces recherches ont été facilitées par la construction récente d’un laboratoire de biologie du bois à Yangambi.

Les experts du Jardin botanique de Meise et de l’Institut national pour l’étude et la recherche agronomique (INERA) s’intéressent quant à eux aux espèces de caféiers sauvages de Yangambi, avec l’idée de soutenir la croissance de robusta dans le contexte actuel de changement climatique, et de participer potentiellement au développement de la filière du pays. Les scientifiques numérisent également la collection de plantes séchées trouvée dans l’herbarium et modernisent ce trésor botanique précieux de quelque 150 000 spécimens.

D’autres études menées par les experts du CIFOR, de l’INERA et de l’UNIKIS, portent sur les chaînes de valeur des produits locaux issus de la forêt, notamment le charbon de bois, le bois d’œuvre et la viande sauvage. Leur objectif est de promouvoir une production, un transport et un commerce durables qui amélioreront les moyens de subsistance des populations locales tout en limitant les retombées néfastes sur l’environnement.

Enfin, l’Université de Gand et l’INERA viennent d’inaugurer cette année la première tour à flux de carbone du bassin du Congo, dont le rôle est de mesurer les échanges de gaz à effet de serre entre la forêt et l’atmosphère. Les données produites seront cruciales pour mieux comprendre la contribution des forêts à l’atténuation du changement climatique.

« Yangambi est le berceau de la recherche forestière dans le bassin du Congo », rappelle Chadrack Kafuti, un doctorant de l’université de Gand. « Ce lieu renferme tellement d’archives, d’échantillons et de parcelles expérimentales, dont certains remontent à 70 ans, que c’est vraiment le bon endroit où les forestiers peuvent étudier l’évolution des arbres et les dynamiques forestières. »

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