De nombreux consommateurs exigent aujourd’hui que les biens qu’ils achètent soient produits en respectant la légalité, en favorisant le développement durable et sans générer d’impacts négatifs sur la forêt. Le Cameroun, pays exportateur de plusieurs commodités tropicales, est naturellement concerné par ces nouvelles exigences.
Depuis une quinzaine d’années, le gouvernement camerounais s’est largement investi pour assurer la légalité de la production du bois pour l’exportation vers l’Union européenne dans le cadre du Plan d’Action FLEGT (Forest Law Enforcement, Governance, and Trade). En parallèle, des standards privés de certification, comme le « Forest Stewardship Council » (FSC), ont développé des normes de gestion durable des forêts, ainsi qu’un système de traçabilité robuste permettant aux bois certifiés de parvenir aux consommateurs.
On se rend compte aujourd’hui que tous les efforts faits pour améliorer la gouvernance du secteur bois, même s’ils ne sont pas tous couronnés de succès, placent cette filière à l’avant-garde du combat pour améliorer l’usage des espaces et la gestion des ressources naturelles au Cameroun. Les commodités agricoles ont bien moins avancé dans l’élaboration d’outils visant la durabilité de leur production.
C‘est notamment le cas du cacao, comme l’a montré un atelier organisé à Douala les 25 et 26 septembre 2019 par le Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), le Fonds de développement des filières cacao et café (FODECC), le Conseil interprofessionnel cacao et café (CICC), la « Sustainable Trade Initiative » (IDH), et le Fonds mondial pour la nature (WWF).
Malgré l’importance de ce secteur pour l’économie camerounaise (1 % du PIB, soit 350 millions d’euros d’excédent commercial), il n’existe pas aujourd’hui de définition précise de ce qu’est un cacao légal, comme le montre une étude récente du CIRAD et du CIFOR. Plusieurs critères sont utilisables pour tenter de circonscrire les contours d’un cacao légal, comme des normes de qualité, le respect du code du travail, ou l’emplacement des cacaoyères en dehors du domaine forestier permanent. Mais ceux-ci n’ont jamais été discutés, rassemblés et encore moins contrôlés de manière systématique par les services de l’État.
Cependant, plusieurs organismes privés de certification ont depuis plusieurs années travaillé sur une définition d’un cacao durable, mais aucune de ces approches n’est encore pleinement convaincante. Elles ne sont d’ailleurs pas reconnues par le gouvernement camerounais, alors que le cacao certifié par Rainforest Alliance-UTZ représentait un tiers du volume exporté lors de la saison 2018-2019. Toutefois, une norme nationale pour le cacao durable et traçable est en cours d’élaboration mais les modalités de sa mise en œuvre restent encore incertaines.
Un des contraintes pour garantir la vente d’un cacao durable sur les marchés est celui de la traçabilité du produit. Cette opération rencontre deux difficultés majeures au Cameroun. D’une part, le cacao est produit par environ 300 000 planteurs qui ne sont pas recensés et qui agissent en toute autonomie en fonction du prix du marché et des opportunités commerciales. Il n’existe aujourd’hui aucun système public ou privé permettant de relier les ventes réalisées par les producteurs indépendants ou même les coopératives aux centaines de milliers d’hectares qui fournissent ces fèves. D’autre part, comme le souligne Simon Bassanaga, membre élu du CICC, « il reste très compliqué de localiser les zones de cacaoyère surtout quand elles sont installées en zone forestière car ce sont des systèmes agroforestiers qu’il est difficile de distinguer d’une forêt secondaire. Même l’utilisation de drones ne permet pas de résoudre complétement cette difficulté ».
La volonté de réduire l’empreinte de la production du cacao sur le couvert forestier et de produire un cacao sans déforestation est une préoccupation plus récente mais qui s’impose rapidement aux exportateurs sous la pression de l’Union européenne. Cette exigence n’est pas assez prise en compte dans les standards de certification de la durabilité du cacao et elle encourage des expériences innovantes pour faire face à cet enjeu. C’est par exemple le cas de l’initiative de paysages de cacao sans déforestation au Cameron qui, comme l’explique Violaine Berger, gestionnaire de projet chez IDH, « vise à combiner un suivi des bassins de production pour limiter la déforestation tout en s’appuyant sur les élus locaux pour coordonner l’appui aux cacaoculteurs ».
La production d’un cacao légal, durable et sans déforestation reste donc une tâche ardue au Cameroun, mais ce défi ne peut être négligé car ces exigences vont réguler l’accès aux principaux marchés à moyen terme. De nouvelles régulations doivent donc être élaborées et mises en œuvre par les parties prenantes camerounaises.
C’est l’occasion, comme on a pu le voir dans le secteur bois, de réfléchir à de nouvelles formes de gouvernance où l’État se focalise sur certaines fonctions régaliennes tandis que d’autres acteurs privés se voient déléguer certaines tâches pour lesquelles ils ont démontré leur efficacité. C’est l’avis notamment de Yannick Mboba, représentant de UTZ au Cameroun : « Depuis vingt ans, les moyens accordés aux services déconcentrés de l’État sont insuffisants pour assurer l’encadrement, l’accompagnement, le suivi et le contrôle de centaines de milliers de producteurs. Certaines de ces fonctions sont aujourd’hui largement assurées par des entreprises privées qui ont un intérêt à augmenter le volume produit, à améliorer sa qualité, ou à assurer une forme de traçabilité des fèves de cacao. Il faut que l’État reconnaisse ces compétences pour mieux se focaliser sur ses fonctions régaliennes et accroître sa performance ».
Cette forme hybride de régulation de la filière cacao au Cameroun, sur la base d’un partage efficace des fonctions de gouvernance entre puissance publique et initiatives privées, sera vraisemblablement au cœur des débats entre les acteurs de la filière dans les prochains mois.
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