Quelles sont les conditions du fonctionnement de la tenure forestière dans les sites du projet REDD+ d’après les villageois? Quelles actions ont été entreprises dans ce domaine par les partisans de la tenure? Quels facteurs nationaux affectent la sécurité de la tenure sur les sites de projet et comment les partisans de la REDD+ les traitent-ils? Ce sont là des questions auxquelles une équipe de chercheurs du CIFOR et leurs partenaires ont cherché à répondre sous les auspices de l’Etude Comparative mondiale sur la REDD+.
Ils ont travaillé dans cinq pays – le Brésil, le Cameroun, l’Indonésie, la Tanzanie, le Vietnam – tous différents sur plusieurs plans, comme le type et l’étendue du couvert forestier, de la dégradation des forêts, l’étendue du contrôle par la communauté / l’État / le privé sur les ressources forestières, le fort intérêt des bailleurs de fonds et la présence du CIFOR dans le pays.
La sécurisation de la tenure est une condition préalable nécessaire pour une utilisation et une gestion durables des forêts et des arbres (qui demandent des investissements à plus long terme), et un élément important sur la voie de la réduction de la pauvreté et de la durabilité des moyens de subsistance. La sécurité de la tenure est donc au cœur de la REDD+, une initiative mondiale basée sur les performances, visant à réduire la déforestation et la dégradation en offrant des mesures incitatives et des récompenses aux utilisateurs et gestionnaires de ressources, dans le but plus général de s’attaquer aux changements climatiques à plus long terme. Et pourtant, une étude récente de Sunderlin et al. dans World Development affirme qu’en dépit du large consensus sur l’urgence à sécuriser la tenure et les droits, de nombreuses organisations (tant publiques que privées) parlent beaucoup et agissent peu. Dans le domaine de la REDD+ en particulier, ses partisans comprennent l’importance de sécuriser les tenures locales mais se heurtent à un héritage du passé: la faiblesse de la tenure locale; les options pour améliorer la sécurité de la tenure sont rares et n’ont pas été vérifiées.
Cette étude propose une documentation cohérente et systématique sur la manière dont les partisans du projet REDD+ se penchent sur les questions de tenure sur leur site de projet, les contraintes auxquelles ils sont confrontés, leurs tentatives pour surmonter les obstacles, et les actions générales nécessaires pour renforcer la tenure, les droits et l’accès pour les initiatives REDD+.
Bien que le travail soit mené au niveau local, les auteurs sont sensibles à son intégration dans les systèmes nationaux et privilégient les droits et l’accès des villages et des communautés avoisinantes ou dépendantes de la forêt qu’ils considèrent clairement comme les principaux détenteurs de droits.
Se pencher sur la tenure avant le démarrage de la REDD+
Les auteurs suggèrent que les questions de sécurité de la tenure soient traitées avant que ne démarre la REDD+. Au-delà, ils proposent que les partisans de la REDD+ entreprennent trois séries d’actions pour assurer les droits locaux, de manière à permettre aux initiatives REDD+ de répondre à leurs objectifs à plus long terme.
La première série d’actions concerne directement la sécurisation de la tenure et implique l’identification des détenteurs légitimes de droits; définir des responsabilités et leur rattachement aux droits et avantages; éviter que les acteurs importants entrent en course pour capter une rente; et sauvegarder les droits et les moyens de subsistance existants.
La deuxième série d’actions concerne la participation, la représentation, la sensibilisation, le partage d’informations et la recherche d’un consensus sur les interventions concernant la REDD+.
La troisième série d’actions concerne la gouvernance à différents niveaux, la coordination et la coopération, notamment avec les secteurs du gouvernement mandatés pour mettre en œuvre une réforme de la tenure, l’enregistrer et l’appliquer de manière globale.
Les auteurs ont constaté que plus de la moitié des 71 villages indiquait que la tenure sur certaines de leurs terres n’était pas sécurisée. L’insécurité de la tenure découlait en grande partie de la concurrence et des conflits, de l’absence de documentation formelle, de la simplicité des processus de révocation des droits, et des restrictions sur l’utilisation de la terre par les entreprises publiques et privées.
S’attaquer aux facteurs de l’insécurité de la tenure
Les facteurs d’insécurité venaient davantage de l’extérieur que des interactions à intra ou inter communautaires. La conformité aux règles internes allait de modérée à élevée, et les villageois réussissaient assez bien à empêcher une appropriation et une utilisation non autorisées.
Du point de vue des partisans du projet, les conflits et l’absence de clarté juridique constituent les principaux facteurs d’insécurité de la tenure sur les sites du projet.
Il est clair que ces résultats à travers les pays ont un impact différent lorsque des pays individuels sont choisis pour une analyse. Il est intéressant de noter que c’est au Brésil et en Indonésie qu’on été enregistrés les niveaux les plus élevés d’insécurité perçue de la tenue et les difficultés opérationnelles à exclure les utilisateurs non autorisés. Ces pays ont la plus forte couverture forestière parmi les pays de l’étude.
Du point de vue des partisans du projet, les conflits et l’absence de clarté juridique constituent les principaux facteurs d’insécurité de la tenure sur les sites du projet. Les partisans utilisent quatre grandes approches pour la sécurité de la tenue qui englobent: la précision/démarcation des limites; la réserve forestière, la documentation et la formalisation de la forêt (Brésil, Tanzanie, Vietnam), une planification négociée de l’utilisation de la terre (Indonésie), et l’extension de la durée de la tenure communautaire (Tanzanie). Ceci est sans doute un des résultats les plus importants de cette étude. Il suggère que diverses approches sont nécessaires, probablement en fonction des différents facteurs d’insécurité sur des sites de projets spécifiques.
Il est important de noter que les partisans du projet considèrent que les échanges internes effectifs entre les villageois et les stratégies qu’ils adoptent pour la gouvernance de leurs forêts partagées constituent un élément important de la sécurité d’ensemble de la tenure. Ceci est également important et va dans le sens de ce que d’autres auteurs ont écrit.
De plus, en dépit des initiatives d’éducation et d’information de la communauté des partisans de la REDD+, en cours ou terminées, dans près de la moitié seulement des 71 villages, ces derniers se trouvaient face un grand dilemme. Les coûts de transaction élevés pour lancer et gérer de tels programmes ne conviennent pas à un cycle de projet de trois à cinq ans, s’ajoutant à la difficulté à élever les attentes locales aux vues de l’incertitude globale sur la longévité du concept de la REDD+.
Les facteurs nationaux ont également un impact sur la tenure
Outre les activités de projet, les partisans du projet sont confrontés à une série de facteurs nationaux qui influencent la sécurité de la tenure sur les sites de projet. Une forte reconnaissance et un solide soutien du gouvernement national pour l’accès et les droits de la communauté et des petits exploitants (dans tous les pays à l’exception de l’Indonésie) et un important soutien politique aux programmes de changement climatique tels que REDD+ (comme en Indonésie) sont des conditions propices importantes. Cependant, elles sont contrées par une mise en œuvre inadéquate, la nature complexe et le chevauchement des droits, des conflits concernent les droits, l’accès et les avantages. De plus, et peut-être plus troublant et méritant une analyse plus approfondie, les partisans du projet (à l’exception de ceux au Brésil) sont incapables de se coordonner avec les stratégies et actions nationales (souvent parce que de telles mesures de gouvernance n’existent simplement pas). En fait, les auteurs indiquent que les efforts des partisans de la REDD+ pour clarifier la tenure sont sporadiques et isolés et ne devraient pas avoir un impact important ou soutenu.
Exposer les dessous de la sécurisation de la tenure
Les auteurs font des recommandations standards concernant la sécurisation de la tenure dans la REDD+, qui est cohérente avec une bonne partie de la littérature de ces deux dernières décennies sur le secteur de la terre: améliorer la participation et la consultation, intégrer les initiatives locales dans les institutions et processus nationaux de tenure foncière, appliquer les lois relatives à la tenure, clarifier/rationaliser les politiques intersectorielles, et ainsi de suite.
Elément nouveau, cette étude va plus loin que ses recommandations. Tout d’abord, elle offre une analyse systématique et comparative des pays, ce qui est rare.
Deuxièmement, elle expose les dessous des projets de sécurisation de la tenure en termes clairs et non ambigus: on ne peut faire grand-chose de bien dans le cadre de cycles de projet pour lesquels il n’existe pas de collaboration avec les acteurs publics qui non seulement contrôlent une grande partie des états forestiers dans de nombreux pays, mais sont probablement les seuls acteurs constants sur une vaste étendue de terres et de territoires, dans le temps, entre les pays et à travers les pays.
Troisièmement, l’étude indique que bien que la sécurité de la tenure implique un ensemble ou une série d’interventions et de services, la résolution des conflits et la mise en place de systèmes fonctionnels d’adjudication/d’arbitrage qui soient pertinents, accessibles et réalisés en temps utile restent la principale priorité.
Quatrièmement, l’étude se penche sur la question de la volonté politique: une forte volonté politique (disons pour les projets REDD+ en Indonésie) ne semble pas nécessairement associée à l’avancement de la sécurité de la tenure locale, et pourtant dans les pays où la volonté politique n’est pas clairement explicitée (comme au Brésil), il semble qu’il y ait une avancée.
Qu’est-ce qui fait cette différence? À quel moment la volonté politique est-elle importante, à quel moment de la mise en œuvre et à quel niveau de la gouvernance? L’est-elle d’une façon ou d’une autre pour combler la distance entre la rhétorique et la mise en œuvre, entre les interventions au niveau du projet, et les impératifs au niveau national?
Esther Mwangiest une chercheuse chevronnée travaillant pour le portefeuille Forêts et Gouvernance du CIFOR. Vous pouvez la contacter sur e.mwangi@cgiar.org
Recherches du CIFOR sur les forêts et les genres: www.cifor.org/gender
Recherches du CIFOR sur les tenures: www.cifor.org/forest-tenure
Cette recherche a été menée dans le cadre de l’étude comparative globale sur la REDD+ et du Programme de recherche CGIAR sur les forêts, les arbres et l’agroforesterie, avec le soutien d’AusAID, de l’agence norvégienne de coopération pour le développement (NORAD), du ministère britannique pour le développement international (DFID) et du Programme sur les forêts (PROFOR).
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