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Nos réserves naturelles sont-elles sûres ?

De nouvelles recherches montrent que la chasse est la menace la plus commune pour les zones protégées dans le monde entier.
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L’éléphant d’Afrique (Loxodonta africana), photographié ici au Cameroun, est le plus grand animal terrestre vivant. Selon des recherches, les chasseurs commerciaux représentent une menace beaucoup plus grave dans les aires protégées pour les espèces vulnérables comme celles-ci que les communautés qui chassent pour leur subsistance. CIFOR Photo/Daniel Tiveau

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Les zones protégées sont essentielles aux efforts de conservation de la biodiversité mondiale. Mais une nouvelle étude montre que les activités de chasse et de loisirs constituent des menaces importantes pour ces sanctuaires à travers le monde.

L’étude rassemble des données provenant de près de 2000 aires protégées (AP) dans 149 pays. Soixante-et-un pour cent des sites interrogés considèrent la chasse comme une menace, tandis que 55% indiquent des activités récréatives. Les résultats révèlent un éclatement géographique, les activités récréatives constituant la plus grande menace dans les zones ‘développées’ comme l’Amérique du Nord et l’Europe et la chasse dominant dans les zones ‘en développement’ comme l’Afrique centrale et certaines parties de l’Amérique du Sud et de l’Asie.

« Cela démontre vraiment les différentes utilisations que les gens ont des AP dans différentes régions du monde », explique Lauren Coad, qui travaille dans le cadre de l’Initiative de recherche sur la viande de brousse (Bushmeat Research Initiative (BRI)) au Centre pour la recherche forestière internationale (CIFOR) et est l’une des auteurs de l’étude.

Dans les régions développées, mettre en place des protections supplémentaires peut être relativement simple, dit-elle : restreindre les visites touristiques aux AP, par exemple, pourrait être une mesure impopulaire, mais il est peu probable que quelqu’un puisse en mourir. Dans les régions en développement, cependant, s’attaquer à la menace la plus commune – la chasse – est une proposition nettement plus complexe.

   Zorro Ndeli, un chasseur de subsistance, prend sa cible dans la réserve de Tumba-Ledima, en République démocratique du Congo. CIFOR Photo/Ollivier Girard

CHASSER POUR SURVIVRE

Les communautés vivant dans les forêts et leurs alentours chassent les animaux sauvages depuis des millénaires et, dans de nombreuses zones reculées, les populations dépendent toujours de la viande sauvage comme source essentielle de protéines et de micronutriments. Empêcher les populations de chasser dans ces zones serait contraire à l’éthique, car cela pourrait avoir de graves répercussions sur les moyens locaux de subsistance et la sécurité alimentaire, dit L. Coad.

John Fa, un associé du CIFOR et l’un des leaders de la BRI, décrit un atelier où son équipe de recherche a demandé aux membres de la communauté quels types d’alternatives ils auraient s’ils arrêtaient de chasser. « Et je me souviens d’un homme de 70 ans qui disait qu’il voulait devenir pilote de ligne. C’était une expression ironique, bien sûr – une autre façon de dire : ‘Allez, de quoi parlez-vous?’ »

De plus, dit L. Coad, ce type de chasse de subsistance – si elle est bien gérée par les communautés locales et le personnel de l’AP – peut être durable. Certes, elle reconnaît que si de vastes populations vivent près d’une relativement petite AP, la chasse de subsistance peut avoir un impact significatif sur la faune et la flore sauvage. « Et dans ce cas, vous devez travailler en collaboration avec ces communautés locales pour trouver une solution », dit-elle.

Cependant, lorsque des intérêts commerciaux à grande échelle sont impliqués, les solutions durables peuvent être beaucoup plus difficiles à trouver.

GANGS ARMÉS

« Certaines personnes ont qualifié la chasse commerciale d’« exploitation minière de la faune sauvage », parce que ce qu’ils font est d’entrer dans une zone et de prendre tout ce qu’ils peuvent, et évidemment cela n’est pas favorable à une utilisation durable de la faune», dit J. Fa..

Ces autres types de chasseurs sont généralement très mobiles et bien armés, et ont tendance à cibler des espèces de grande valeur – et en voie de disparition – comme les éléphants, les lions, les tigres et les pangolins pour le marché urbain et international.

« Je pense que la ‘chasse’ est parfois traitée comme une activité homogène », explique L. Coad, «et cela peut mener à l’hypothèse que la chasse de subsistance est un problème. Mais souvent, ce ne sont pas les communautés locales isolées dans la forêt qui ont les impacts les plus critiques sur la faune : ce sont des groupes de chasseurs commerciaux organisés et itinérants. C’est donc beaucoup plus difficile à gérer à l’échelle locale – cela nécessite une application des lois existantes en matière de faune sauvage à l’échelle nationale et internationale. »

Il est important de ne pas confondre la chasse de subsistance avec ces processus extractifs à grande échelle, souligne J. Fa. « La chasse est un problème majeur pour les zones protégées, mais nous devons faire la distinction entre les types de chasse qui s’y déroulent. »

   Les consommateurs peuvent jouer un rôle dans la réduction de la demande de produits dérivés d'espèces menacées, comme le pangolin. Photo du US Fish and Wildlife Service

PROBLÈME LOCAL, SOLUTION GLOBALE

Réduire la demande nationale et mondiale est donc tout aussi important que de travailler avec les communautés locales pour gérer l’accès à la faune. Selon L. Coad, offrir des alternatives à la viande sauvage dans les villes est une des pièces du puzzle. Cela comporte son lot de défis : l’urbanisation récente dans de nombreuses régions en développement signifie que de nombreux nouveaux citadins veulent encore acheter et manger de la viande sauvage, « en partie parce qu’elle leur est familière, et donc les gens la préfèrent à la viande domestique comme le porc ou le poulet », dit-elle.

L. Coad, elle-même, peut comprendre : elle a récemment vécu à Bogor, en Indonésie, et en dépit de la nourriture indonésienne, « j’allais toujours au supermarché à Jakarta pour acheter les choses que je connaissais d’Europe : pas parce que je pensais que c’était plus savoureux ; juste parce que c’était familier, et je savais comment les cuisiner. Et nous oublions souvent cet élément lorsque nous introduisons de nouvelles choses.

L. Coad cite une étude brésilienne où le poulet a été introduit à prix réduit comme alternative à la viande sauvage, et cela n’a pas eu d’impact sur la consommation de viande sauvage jusqu’à ce que les chercheurs adoptent des stratégies de marketing social, notamment des cours de cuisine. « Et soudainement, la consommation de viande sauvage a été réduite de plus de 60%. Cela a vraiment démontré que si vous ne savez pas comment préparer quelque chose, vous ne changerez pas votre préférence. Cela montre ainsi comment nous devons penser à ces approches différentes. »

Un autre élément de bonne gestion est l’accès à une information de qualité, dit L. Coad, et l’un des principaux axes de travail de la BRI a été de collecter des données sur le degré d’utilisation de la viande sauvage par les populations locales utilisent la viande sauvage pour la nutrition et les revenus. De là, ils espèrent fournir aux gouvernements nationaux des estimations sur sa contribution au PIB, de sorte qu’il peut être géré comme n’importe quel autre secteur. « Parce que souvent, nous autres humains, si nous ne valorisons pas les choses, nous ne les conservons pas, parce que nous ne les considérons pas comme importants », dit-elle.

Il est également crucial de continuer à faire pression pour réduire la demande internationale de produits dérivés d’espèces en voie de disparition, comme l’ivoire des éléphants et les produits médicinaux des pangolins, dit L. Coad.

« Nous vivons dans une société de plus en plus connectée. La conservation des pangolins au Gabon nécessitera des changements dans les préférences des consommateurs à l’autre bout de la planète. En tant que consommateurs, nous avons tous des impacts écologiques, et nous devons tous faire partie de la solution. »

Cette recherche a été possible grâce à l'aide financière de l'USAID, de l'UKAID et l'Union européenne dans le cadre de la Bushmeat Research Initiative
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