Entrevue

Bénéfices REDD+ : Les hommes veulent de l’argent, les femmes veulent du développement

La scientifique Esther Mwangi partage des résultats de la Tanzanie, de l'Indonésie et du Pérou
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Une famille sur un site REDD+ au Pérou. Une enquête auprès de ménages en Tanzanie, en Indonésie et au Pérou a mis en évidence des différences entre les hommes et les femmes dans leurs préférences pour les bénéfices REDD +. CIFOR Photo/Marlon del Aguila Guerrero

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En matière de bénéfices REDD+, hommes et femmes diffèrent dans leurs préférences selon Esther Mwangi, scientifique principale et chef d’équipe au Centre pour la Recherche Forestière Internationale (CIFOR), les hommes préférant des incitations en espèces alors que les femmes privilégient des bénéfices non monétaires.

Mwangi et une équipe internationale de chercheurs ont mené des entretiens approfondis auprès de ménages en Tanzanie, en Indonésie et au Pérou dans le cadre d’un programme de travail incluant un vaste projet sur le REDD+ et le régime foncier.

Dans les trois pays, en plus de la préférence pour les hommes et les femmes en termes de bénéfices, les chercheurs ont trouvé une corrélation entre une participation accrue des femmes et une répartition plus équitable des bénéfices. Mais ils ont également constaté une domination masculine à différents stades de la prise de décision, et ils ont mis en évidence que les gens (principalement des hommes) impliqués dans les décisions concernant le REDD + étaient plus susceptibles d’être satisfaits de la répartition des bénéfices.

Au-delà des préférences en termes de bénéfices, il y avait une plus grande différence entre les sexes en matière d’acquisition d’informations relatives à REDD+ et d’implication dans le processus de prise de décision sur la manière dont les bénéfices seraient distribués et leur montant – les hommes étant beaucoup plus actifs.

Mwangi a présenté certaines de ses conclusions à la fin de l’année dernière à l’occasion du 125ème Congrès mondial de l’IUFRO. Elle parle ici dans le détail de son travail et des résultats.

Quand vous parlez de bénéfices non monétaires, qu’est-ce que cela inclut ?

Les bénéfices non monétaires sont des récompenses matérielles autres que les paiements monétaires directs. Ceux-ci incluent la construction de salles de classe pour les enfants des écoles primaires, la fourniture d’outils agricoles, la fourniture d’eau potable, ou même le renforcement des capacités dans l’agriculture de conservation.

Au Pérou, il était intéressant de constater que même ces bénéfices non monétaires étaient différenciés selon le sexe. Les hommes préféraient les matériaux de construction, l’assistance technique et la formation, l’assistance juridique et les semis d’espèces non ligneuses. Les femmes, en revanche, préféraient les objets ou ustensiles pour la maison, les jardins organiques, les animaux à élever, les arbres à bois, les textiles et l’artisanat. Par conséquent, même les préférences en termes de bénéfices non monétaires se différencient selon le sexe.

Lors d’un atelier de rétroaction communautaire en Tanzanie, nous avons demandé aux hommes et aux femmes de nous dire ce qu’ils voudraient voir être fait différemment si le projet REDD + devait reprendre dans leur village. Alors que les femmes souhaitaient prioriser les bénéfices non pécuniaires, elles ont également indiqué que ces bénéfices non monétaires « touchent les problèmes des femmes ».

« Un nombre accru de femmes dans des fonctions décisionnelles a de bons résultats pour les conditions de la forêt »

Esther Mwangi, CIFOR

Quels sont les facteurs qui empêchent les femmes de participer à la prise de décision en REDD+ ?

Nous avons constaté que deux fois plus d’hommes que de femmes étaient impliqués dans la prise de décision en REDD+ en Tanzanie, quatre fois plus d’hommes que de femmes au Pérou et à peu près autant d’hommes et de femmes en Indonésie.

Notre définition de la prise de décision en REDD+ a couvert des problèmes concernant leur implication dans la décision initiale sur la mise en œuvre du REDD+ dans leur village, et leur implication dans la conception et la mise en œuvre des activités REDD+. La plupart des femmes ont indiqué qu’elles n’étaient pas au courant de ces affaires. Celles qui étaient au courant ont dit qu’elles n’étaient pas invitées aux réunions lorsque ces décisions étaient prises.

L’asymétrie entre la participation des hommes et des femmes dans la prise de décision en matière de foresterie est souvent ancrée dans deux problèmes interdépendants. Premièrement, les institutions forestières et les ressources forestières sont généralement dominées par les hommes et deuxièmement, la prise de décision à l’échelle du village se déroule dans la sphère publique. Les femmes sont traditionnellement associées à la sphère privée de la vie familiale.

A-t-il été surprenant de constater que lorsque la participation des femmes augmentait, la répartition des bénéfices était plus équitable ?

Personnellement, je n’ai pas été surprise, mais j’ai quand même pensé que c’était un résultat intéressant qui s’intègre bien à d’autres résultats.

Des travaux en Inde et au Népal montrent qu’un nombre accru de femmes occupant des fonctions décisionnelles a de bons résultats pour les conditions de la forêt. Même dans le monde des affaires, la recherche commence à démontrer que l’augmentation de la présence des femmes dans les conseils d’administration est corrélée avec une plus grande responsabilité sociale des entreprises et une préoccupation pour des résultats équitables des investissements.

“Les accords de partage des bénéfices devraient être conçus en tenant compte des différences entre les sexes”

Esther Mwangi, CIFOR

Indépendamment du genre, les taux de connaissance du REDD+ et de participation aux décisions connexes étaient plutôt faibles. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Ceci est une observation intéressante et porte sur le point d’entrée choisi par les ONG qui, dans la plupart des cas, étaient des chefs de village. Les chefs de village sont cruciaux et devraient toujours être approchés lors de la mise en place de projets et d’interventions dans les zones rurales. Cependant, plus d’efforts devraient être faits pour assurer une plus grande inclusion, surtout si les femmes ou d’autres (y compris les hommes) sont souvent marginalisés dans la prise de décision. Cet effort supplémentaire devrait être fait même si le leadership du village est largement respecté et légitime.

Lorsqu’on leur a demandé ce qui devrait être fait différemment si les projets pilotes REDD+ devaient être répétés, les hommes et les femmes en Tanzanie ont clairement indiqué que l’éducation REDD+ devrait être menée au porte-à-porte. Cela permettrait de sensibiliser et de diffuser largement l’information.

Ceci est une demande raisonnable et probablement bonne pour les interventions, car si les gens ne savent pas exactement ce qu’est le REDD+ et pourquoi elle est mise en œuvre (c’est-à-dire faire le lien entre les bénéfices REDD+ et la conservation des forêts), il est peu probable que ces projets atteignent leurs objectifs. De plus, le manque d’implication dans la prise de décision affaiblit la légitimité et la durabilité des projets.

Quelles sont les prochaines étapes des travaux sur ce sujet ?

Les accords de partage des bénéfices devraient être conçus en tenant compte des différences entre les sexes. Cela ne peut pas être surestimé, parce que ces bénéfices constituent une motivation importante pour la gestion durable et même la conservation.

Dans des travaux précédents, nous avons démontré qu’une plus grande équité entre les sexes est possible dans le secteur forestier, autant dans la participation à la prise de décision que dans la distribution des bénéfices forestiers. Les leçons tirées de ces travaux seraient précieuses pour façonner la conception et la mise en œuvre des accords de partage des bénéfices.

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