Analyse

Du jamais vu pour des négociations sur le climat

Dans la montée vers COP21, il semble que le monde ait accepté qu'on doit agir envers le changement climatique, mais il faut un équilibre entre l'intégrité des écosystèmes et les besoins sociaux.
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Marche contre le réchauffement en 2009. Paris est déjà des airs très différents de la COP15, l’échec d’il y a six ans . Takver / Flickr

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Alors que la conférence climatique très attendue de Paris se rapproche, les hypothèses sur le contenu de l’accord de Paris se multiplient. En matière de ce que cela signifie pour les forêts, l’utilisation des terres et les écosystèmes naturels, une série de développements récents peut nous donner une idée de ce que nous pouvons et ne devrions pas espérer.

Dans l’ensemble, il y a lieu d’être optimiste concernant l’accord final. Le projet de texte paraît meilleur que la version précédente ; les pays semblent le prendre au sérieux et la conférence à Paris est accompagnée d’une vague d’événements et de déclarations. Ces dernières comprennent l’adoption des Objectifs de Développement Durable, une Déclaration présidentielle commune des États-Unis et de la Chine sur le changement climatique, ainsi qu’une déclaration commune de la Chine et la France. L’annonce faite par le G7 pour décarboniser les économies au cours du siècle présent était un développement bienvenu. Des groupements religieux bouddhistes, islamiques et chrétiens, y compris le Vatican, ont fait des déclarations historiques qui façonnent le débat et donnent au monde l’intervention divine dont il a besoin. En outre, 147 pays ont soumis leurs plans nationaux sur le climat, connus en tant que contributions prévues déterminées au niveau national (CPDN). Ainsi, un nombre sans précédent de pays a commencé de mettre en œuvre des politiques climatiques au niveau national.

Dans l'ensemble, il y a lieu d'être optimiste concernant l'accord final. Le projet de texte paraît meilleur que la version précédente.

Stephen Leonard

Néanmoins, je doute personnellement que les résultats de Paris seront suffisants ; on va sans doute présumer qu’il soit possible de combler les lacunes dans les années à venir.

« Ceux qui ne peuvent pas se rappeler du passé sont condamnés à le répéter » : George Santayana

L’examen du texte que nous amenons à Paris suggère que le potentiel d’aboutir à des résultats est plus grand qu’il ne l’était lors de la COP15, à Copenhague, en 2009. Le célèbre texte des négociations à Genève, faisant 86 pages, a été écrit en février de cette année. Il a ensuite été divisé entre la Décision de la COP et le projet de texte du traité. En juillet, il avait été réduit à seulement 12 pages. Début octobre, ce document contenait 20 pages ; le texte de l’accord proposé faisait seulement 9 pages.

Cependant, au cours de la session la plus récente, de sérieuses inquiétudes ont été exprimées quant au textes enlevés ; désormais, le texte de Paris fait 54 pages. Par comparaison, seulement quelques semaines avant la COP15 à Copenhague, le texte était long et lourd de 200 pages ; il a fallu attendre le milieu de la COP15 avant de disposer d’un texte similaire en longueur que le texte actuel.

Ce dernier ressemble également à un type d’accord très différent que celui que nous avons élaboré il y a six ans. À cette époque, il n’existait pas d’accord quant aux processus à l’échelle nationale, ce qui existe désormais à travers des CPDN. En effet, le système ascendant (bottom-up) est actuellement non seulement largement accepté, mais déjà entamé. Les pertes et les dommages représentaient un chaînon manquant, ce qui a gêné de nombreuses personnes. En outre, le cadre de la Réduction des Émissions issues de la Déforestation et de la Dégradation des forêts  (REDD+) n’était pas encore développé. Ces éléments ont renforcé le niveau d’engagement des pays les plus vulnérables et ceux n’ayant pas été impliqués dans le cadre juridiquement contraignant du protocole de Kyoto. L’objectif d’un accord universel, applicable à tous, a également fait des progrès très significatifs. Contrairement à Copenhague, on ressent une volonté de ne laisser personne derrière et d’atteindre l’équilibre entre l’atténuation et l’adaptation. 

Néanmoins, le monde reste sur la voie du réchauffement planétaire qui va aller au-delà des limites de sécurité pendant ce siècle. Les évaluations des CPDN montrent que le monde devrait dépasser l’objectif des 2 degrés, avec des estimations comprises entre 2,7 et 3,5 degrés de réchauffement entre nos jours et 2100. Les dommages sociaux et environnementaux qui en résultent dans le monde entier, que certains ressentent déjà, ne doivent pas être sous-estimés. Tandis que les Parties cherchent à remédier à cette situation, le timing et l’ambition sont au cœur du sujet. Des arguments forts, basés sur la science, stipulent que nous devrions atteindre une décarbonisation mondiale complète d’ici 2050. Les décideurs politiques cherchent, cependant, à ralentir le processus en repoussant l’échéance vers 2100. Devrions-nous effectuer une analyse des CPDN à court terme et intensifier rapidement les ambitions ou devrions-nous avancer doucement en prenant ce que nous pouvons sur le chemin ? Beaucoup considèrent les cycles d’engagement d’une durée de cinq ans comme un bon moyen de développer un système solide permettant un examen continu et des ajustements réguliers.

Les CPDN déposées avant le 1ier novembre 2015 représentent 75 pourcent des Parties de la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) et englobent 86 pourcent des émissions mondiales. De nombreux pays incluent des dispositions pour des actions dans les secteurs terrestre et forestier. La REDD+ est mentionnée dans des contextes différents dans 39 soumissions, pour la plupart par des pays tropicaux. Dans certains cas, les pays se réfèrent aux politiques de REDD+ qui ont été mises en place ou sont en cours d’essai. La plupart des cas font spécifiquement référence au fait que la mise en œuvre de la REDD+ est dépendante des financements. Les CPDN fournissent un bon aperçu des pays qui ont commencé à travailler au niveau national pour mettre en place des conditions favorables et qui misent sur ce cadre pour faire leur contribution. Le point qui ressort de ces CPDN est que le financement de la mise en œuvre ainsi que des multiples bénéfices de la REDD+ sera déterminant.

« Hâtez-vous lentement » : Augustus Caesar 

Donc, lorsqu’il s’agit d’intensifier l’ambition et l’atténuation, quel coût sommes-nous prêts à accepter pour les écosystèmes ? Allons-nous influencer sans limite le climat ou allons-nous éviter les conséquences non désirées ? Sommes-nous prêts à ouvrir la voie à des « solutions technologiques » discutables, potentiellement dangereuses, en mettant en œuvre à large échelle des installations bioénergétiques incluant le captage et le stockage du carbone  (BECSC) dans le but de mettre fin à notre dépendance aux combustibles fossiles ? Ou est-ce qu’il y aura des incitations en faveur de solutions sûres et prouvées d’énergies renouvelables ? Des rapports récents montrent que nous pouvons atteindre 100 pourcent d’énergie renouvelable d’ici à 2050, mais qu’en est-il de la volonté politique pour y parvenir ? Dans quelle mesure les gouvernements vont-ils permettre à l’industrie des combustibles fossiles de ralentir leurs progrès ?

L’avenir verra une nouvelle combinaison de solutions énergétiques, mais la nature de ce mélange et les coûts associés pour le secteur terrestre, les forêts, la sécurité alimentaire, les peuples autochtones et la biodiversité demeurent inconnus. Ce point fait l’objet de spéculations dans les couloirs lors des négociations sur le climat. Les questions brûlantes pour ceux qui travaillent sur le rôle de l’utilisation des terres, de la biodiversité et des forêts sont : le monde va-t-il assurer l’intégrité écologique dans le nouvel accord climatique ? Ou alors, les écosystèmes, la biodiversité et les peuples tributaires des forêts vont-ils être les victimes de nos actes tandis que nous nous démenons pour survivre à la crise climatique ? 

L’avancement des négociations sur le climat ces dernières années s’est fait avec une grande incertitude concernant le rôle des écosystèmes naturels et la mesure dans laquelle les forêts, la sécurité alimentaire et la REDD+ seront inclues dans l’accord. Tout récemment, en octobre, la Coalition des nations à forêts tropicales, constituée de plus de 50 pays forestiers tropicaux, a publié une déclaration disant que l’accord de Paris ne pourra pas être considéré comme un succès sans une forte prise en compte de la REDD+. Il est surprenant que ce point ait pu entrer dans les discussions, même avec les milliards de dollars investis dans la mise en place de mesures au niveau national.

Toutefois, ceci s’inscrit, bien sûr, dans le cadre d’une négociation plus vaste.

La crainte que les forêts et les écosystèmes naturels seront utilisés pour compenser et pour justifier l’utilisation continue de combustibles fossiles reste un facteur puissant lors des négociations. La question suivante doit être posée : quelle est la place de la compensation dans un monde où les efforts nationaux ne parviennent pas à assurer à l’échelle mondiale la sécurité climatique pour les générations futures ? Attendez-vous à ce que cette controverse parvienne au premier plan à Paris.

« L’intégrité est un écosystème » : Michael Leunig

Quant au projet de texte de l’accord, la version de 9 pages produite début octobre a été pour le moins insuffisante. Toutes les clauses relatives aux droits humains ou à l’utilisation des terres avaient été retirées, de sorte qu’elle ne contenait aucune ouverture pour les garanties liées à des questions telles que les protections sociales, la sécurité alimentaire, les droits des autochtones et l’intégrité écologique. Toutes les références aux synergies et aux liens entre les actions d’atténuation et d’adaptation avaient été enlevées ; la seule mention des forêts était sous forme de ce qui semblait être une erreur typographique là où le mot « finances » était censé apparaître. 

Il va sans dire que ce texte n’a pas été bien accepté lors de la récente réunion intersessionnelle à Bonn.

La plupart des références relatives à l’utilisation des terres dans tout le texte, tel qu’il a évolué, sont associées à un nouvel ensemble de principes de comptabilité et de transparence. Il convient de noter que ces principes ne concernent qu’un seul ensemble de règles de comptabilité. Ils ne sont pas destinés à être appliqués à des actions pouvant affecter les forêts et d’autres écosystèmes naturels. On ne sait pas ce que cela signifie pour la REDD+ et l’UTCF (Utilisation des Terres, leurs Changements et la Forêt) et ce que nous pouvons déduire des règles UTCF du Protocole de Kyoto (si nous pouvons en déduire quelque chose) vu leurs complexités et lacunes. Il est probable que ce travail très long, hautement politique et complexe, fera partie d’un programme de travail qui durera jusqu’à 2016 et au-delà.

Jusqu’à récemment, le texte des négociations abordait peu ces questions. Espérons que ce ne soit pas trop tard. Il n’y avait pas d’avancements significatifs à Bonn. Désormais, le texte actuel contient des options pour inclure les droits de l’homme, les droits des peuples autochtones ainsi que la sécurité alimentaire. Le texte reconnaît que le secteur foncier jouera un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique et va jusqu’à proposer tout un article distinct consacré à la REDD+ (ce que certains perçoivent comme une étape trop hâtive).

Le texte que nous amenons à Paris est bien équilibré, avec un langage adéquat quant à l’atténuation, l’adaptation et les financements. Il met l’accent sur la garantie de l’intégrité et de la résilience des écosystèmes naturels. De manière appropriée, le texte actuel met en place un arrangement sensé afin d’élaborer des principes et des lignes directrices relatifs aux actions du secteur terrestre qui reflètent ces caractéristiques. La perte de ces dispositions dans le nouvel accord serait un résultat néfaste à Paris.

Le travail pré-2020 constituera une part importante des négociations de la CCNUCC en cours au-delà de Paris ; le processus d’examen technique continuera également, en se focalisant davantage sur les efforts de mise en œuvre et en plaçant les financements en priorité. Ceci est particulièrement important vu le rôle que les actions climatiques pourraient prendre à travers des initiatives de la CCNUCC dans le but d’atteindre les ODD, tels que l’arrêt de la déforestation d’ici 2020. Il s’agit de mesures significatives et importantes à court terme pour atteindre des objectifs à long terme. Ce travail devrait être aligné avec les promesses de zéro déforestation du secteur privé et avec la Déclaration de New York sur les Forêts de 2014. Il serait souhaitable que les orientations ou les décisions améliorant les actions concernant ces sujets soient adoptées à Paris, tout en permettant d’atteindre cet objectif et d’autres ODD pré-2020 qui peuvent contribuer à atténuer le changement climatique et à s’y adapter.

« L’argent coût souvent trop cher » : Ralph Waldo Emerson

Concernant les forêts et le changement climatique, la question cruciale et perpétuelle des financements ne semble pas être résolue. Il ne semble jamais y avoir assez d’argent pour tout le monde. Pourtant, cette année le Comité permanent des finances de la CCNUCC (SCF) ainsi que le Fonds Vert pour le Climat (FVC) ont fait des efforts pour faire avancer le débat.

Le Forum sur les forêts du SCF, tenu à Durban en septembre, a été bien suivi par les négociateurs de la CCNUCC pour l’utilisation des terres, des universitaires et la société civile. Une série de présentations sur les financements en faveur des forêts a identifié la nécessité d’une gamme d’instruments financiers, y compris les dons, les prêts à conditions bonifiées, les prêts à conditions de marché, l’équité, les incitations fiscales, les assurances et les garanties. L’importance des approches paysagères a été soulignée, ainsi que le besoin de clarté de la part du FVC en termes d’accès aux paiements fondés sur des résultats.

Une étude menée par l’Alliance pour le climat et l’utilisation des sols a souligné que, à ce jour, les financements de la REDD+ ont amélioré la capacité de MRV, la participation des parties prenantes et le dialogue global sur les forêts et sur les changements climatiques. L’étude montre que la REDD+ a eu un faible impact politique. En outre, il n’a pas été possible d’identifier une réduction des émissions liée à l’initiative. Le SCF va soumettre à la COP de la CCNUCC la recommandation d’orienter le FVC dans le but de clarifier l’accès aux paiements fondés sur des résultats et d’aider les pays à mettre en œuvre la REDD+. 

L'intégrité des écosystèmes et les droits de l'homme doivent être des éléments centraux de l'Accord de Paris.

Stephen Leonard

Début novembre, le FVC a tenu une réunion en Zambie, où les huit premiers projets ont été présentés en vue de leur approbation. Parmi eux, aucun n’a été accepté facilement. Une controverse importante est née des allégations disant que les consultations avec les peuples autochtones dans le cadre du projet proposé dans l’Amazonie péruvienne ont été insuffisantes. (Le projet vise à s’aligner avec la REDD+ ; il prévoit des mesures d’adaptation, aborde le régime foncier et vise à améliorer les moyens de subsistance de 120 communautés de la province de Datem del Maranon au Pérou.) Le long débat qui a suivi a mis en évidence la nécessité pour le FVC d’accorder plus d’attention à la façon dont les entités accréditées, les développeurs de projet et le fonds lui-même interagissent avec les communautés. La société civile autochtone a exprimé des préoccupations quant à l’absence de politiques sur la question, en demandant à la Commission de développer une politique indépendante sur les consultations et le consentement libre, préalable et éclairé, en particulier concernant les peuples autochtones.

Finalement, de petits groupes ont rédigé le texte dans une dernière tentative de trouver une solution lors de la réunion finale à 9 heures du soir. Après beaucoup de discussions, à 03h30 du 6 novembre, le FVC a approuvé ses huit premiers projets, qui seront mis en place au Pérou, au Malawi, aux Maldives, aux îles Fidji, au Mexique, en Colombie, au Rwanda, au Kenya, en Ouganda, au Sénégal, en Bangladesh, en République dominicaine et en Jamaïque.

Espérons que l’Accord de Paris ne délaisse personne et que les représentants des pays les plus vulnérables retourneront chez eux confiants que le monde a pris un chemin qui n’entraînera pas la perte de leurs foyers, leur patrimoine et leur culture.

L’approche de cet accord doit être holistique. Il doit assurer l’intégrité ainsi que la résilience des écosystèmes naturels et de la biodiversité, tout en protégeant l’ensemble des peuples. Un accord focalisé sur l’atténuation du changement climatique et focalisé sur le carbone ne sera pas suffisant. L’intégrité des écosystèmes et les droits de l’homme doivent être des éléments centraux de l’Accord de Paris.

Nous avons besoin d’un accord qui fasse l’équilibré entre les besoins sociaux et environnementaux et nous en avons besoin en décembre 2015.

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