« Les gardiens oubliés » des ressources naturelles

On sous-estime trop souvent l'efficacité des communautés locales à protéger les milieux naturels.
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Une étude du CIFOR révèle que dans la réserve naturelle de Mamberamo-Foja, les communautés maintiennent leurs propres revendications, coutumes et règles de gouvernance. Ces coutumes, largement méconnues, jouent un rôle essentiel dans la façon dont les communautés perçoivent et répondent aux menaces sur leurs territoires. Un Papou de Mamberamo Raya. Photo : Michael Padmanaba/CIFOR.

Une étude du CIFOR révèle que dans la réserve naturelle de Mamberamo-Foja, les communautés maintiennent leurs propres revendications, coutumes et règles de gouvernance. Sur la photo, un Papou de Mamberamo Raya. Michael Padmanaba/CIFOR.

L’année dernière, des informations circulaient concernant le sort des San (Bochiman) du Kalahari au Botswana. Ils font partie d’un nombre croissant de « réfugiés de la protection de la nature » qui ont été expulsés de force de vastes zones de terres mises sous cloche pour créer des parcs nationaux et des aires protégées à travers le monde.

Comme ce fut le cas pour les San, la décision de relocaliser des communautés s’appuie généralement sur des informations erronées. Elle se base sur l’hypothèse que les communautés autochtones surexploitent, endommagent et menacent invariablement les ressources naturelles.

Elle ignore également le nombre croissant de recherches, y compris notre étude récente, qui démontrent que la protection et la gestion des ressources naturelles par les communautés locales, bien que souvent méconnues, peuvent souvent s’avérer plus rentables et plus efficaces que les aires protégées sanctionnées par le gouvernement.

Pourquoi alors, étant donné les gains potentiels pour la protection de la nature et pour les moyens de subsistance, les possibilités de collaboration entre groupes autochtones et écologistes ne sont-elles pas exploitées ? Les chercheurs en font-ils assez pour démontrer que les communautés locales peuvent protéger et gérer efficacement les ressources naturelles et qu’effectivement, elles le font ?

La surveillance des ressources, un processus par lequel les menaces sont identifiées et évaluées, représente un aspect fondamental de la gestion des ressources naturelles.

D’une manière ou d’une autre, toutes les communautés autochtones gèrent leurs ressources et répondent aux menaces.

Bien que les chercheurs reconnaissent le premier constat, il demeure peu étudié et l’on en connait encore moins à propos du deuxième constat.

En particulier, comment les communautés perçoivent-elles les menaces sur leurs territoires et comment réagissent-elles ? Quels outils et systèmes spécifiques utilisent-elles pour s’adapter ?

Plus important encore pour la préservation : ces pratiques sont-elles réellement efficaces pour prévenir l’exploitation des ressources ? 

SURVEILLANCE LOCALE, PROTECTION EFFICACE

Notre étude récente dans la régence de Mamberamo Raya, en Papouasie occidentale indonésienne, donne des réponses intéressantes.

Couvrant plus de deux millions d’hectares, la réserve naturelle de Mamberamo-Foja figure parmi les réserves les plus diverses d’un point de vue biologique de l’Indonésie. Toutefois, elle n’est pas gérée par les autorités responsables des réserves de la région, qui sont débordées.

Le parc fait face à de nombreuses menaces extérieures liées à l’exploitation forestière, à l’huile de palme et au développement minier. Il chevauche les territoires de plusieurs communautés, y compris celles des Kay, Metaweja et Yoke où nous avons mené nos études.

Bien qu’elles aient connaissance du statut d’aire protégée de la réserve, les trois communautés maintiennent leurs propres revendications, coutumes et règles pour gérer ces territoires. Elles chassent également les crocodiles et les sangliers, pratiquent la pêche et collectent des ressources forestières.

L’étude a révélé que plutôt que de semer la destruction, ces coutumes et pratiques, largement méconnues, façonnent la perception des communautés quant aux menaces pesant sur leurs territoires et la manière dont elles y font face.

Par exemple, plutôt que de délaisser des zones vulnérables à l’exploitation, des individus ou des groupes respectés ont la responsabilité reconnue de protéger les zones clés riches en ressources.

Chez les Kay, des gardiens héréditaires ou « ljabait » vivent à certains endroits le long de la rivière Tariku ; tandis que chez les Yoke, une famille supervise l’accès à la zone de pêche la plus prisée du Lac Tabaresia.

Chez les Metaweja, la protection territoriale est une responsabilité partagée.

Les hommes des villages patrouillent régulièrement les zones dont les ressources sont considérées comme vulnérables ou qui sont empreints de méfiance par rapport aux communautés voisines.

Bien que les trois villages aient signalé des cas d’empiétement et de chasse illégale, les incidents sont rares et des amendes et des sanctions sont rarement appliquées. L’étude indique que, plutôt que d’inciter à une exploitation effrénée, la présence d’individus ou de groupes spécifiques sur des sites stratégiques agit comme un puissant moyen de dissuasion contre les étrangers souhaitant exploiter les ressources.

ADAPTATION SANS EXPLOITATION

En plus de l’adaptation aux menaces posées par des « étrangers », les communautés sont habiles dans l’évaluation et la détection de ressources vulnérables dans leurs environnements.

Nombreux sont ceux qui observent les signes de rareté des ressources. Plutôt que de continuer d’exploiter ces ressources, ils adaptent leurs habitudes de chasse et de récolte afin de permettre leurs rétablissements. Par exemple, les Kay prisent beaucoup les crocodiles pour leur peau et leur viande.

Lorsque les observations avec des lampes de poche par les membres de la communauté locale indiquent que le nombre de la population est faible, la chasse est soit arrêtée soit réduite.

De même, les chasseurs Metaweja discutent souvent des détails de la mise à mort des sangliers, concernant notamment l’endroit, les traces, les nids et la facilité de la chasse, avec d’autres membres de la communauté.

Ceci leur permet d’identifier les zones devant être évitées pour que les populations puissent se rétablir, ce qui améliore la chasse future des sangliers.

Due à la dépendance des moyens de subsistance des communautés locales par rapport aux ressources forestières, la notion de « confiance » est un facteur sous-jacent de la prévention de l’exploitation des ressources.

Comme l’indiquent les communautés Yoke, même si certains individus prennent quelque chose qu’ils ne devraient pas prendre, la capacité de suivre les activités humaines, par exemple par les marques des bateaux et les empreintes, implique que les comportements inappropriés sont difficiles à cacher. Des sanctions ou des peines peuvent être imposées, mais celles-ci sont rarement utilisées.

Chez les Metaweja, des chasseurs d’une communauté voisine ont été interceptés lors de la collecte d’oiseaux de paradis. Ils ont été condamnés à payer une amende de 550 $. Les chasseurs sont repartis, mais l’amende n’a jamais été encaissée. 

Il semble que l’humiliation publique et les règles informelles seraient suffisantes pour dissuader les exploiteurs potentiels.

Cependant, la surveillance par les  communautés a ses limites. Les contrôles informels ne sont pas toujours efficaces.

Les membres de la communauté Metaweja ont déclaré que, en dépit d’une interdiction de l’utilisation de filets de pêche en nylon et de poison dans les rivières locales, certains membres de la communauté continuent à utiliser ces méthodes. Certaines personnes demandent donc un renforcement des contrôles.

Le manque d’application au moment de notre étude suggère que l’épuisement des stocks de poissons n’a pas été considéré comme une menace urgente puisque les poissons n’étaient pas considérés comme une ressource vitale.

Les ressources ne sont donc pas toujours délibérément utilisées de manière abusive.

Les communautés apprécient différentes ressources de multiples manières, ce qui est susceptible d’affecter l’efficacité de leur surveillance et leur protection.

RECONNAISSANCE DE LA SURVEILLANCE COMMUNAUTAIRE

La surveillance est devenue un thème majeur de la gestion des ressources naturelles. Davantage de recherches explorent les possibilités de participation des communautés.

Notre étude en Papouasie fournit des preuves bien nécessaires que la surveillance locale contribue à la protection efficace des ressources et décourage l’exploitation non réglementée.

Pour les écologistes faisant pression pour l’expansion des aires protégées, l’étude met en évidence les dangers potentiels d’exclure les populations de leur environnement.

Bien que les pratiques de surveillance ne soient pas toujours parfaites et soient souvent motivées par la méfiance des communautés locales plutôt que par des préoccupations environnementales, leur existence démontre que, tant que les Hommes sont connectés à leurs terres, ils sont susceptibles de protéger les ressources. 

Nous devons également identifier les préoccupations et les pratiques locales afin de mieux aligner les objectifs de protection et de subsistance.

Douglas Sheil, Manuel Boissière, Guillaume Beaudoin

En outre, plutôt que d’être défavorables au changement (souvent une justification pour exclure les communautés des décisions relatives à la gestion des ressources de parcs nationaux), les communautés se sont montrées extrêmement flexibles. Elles adaptent leurs comportements aux nouveaux défis et opportunités.

Puisque de nombreux parcs nationaux sont sous-financés et débordés, la reconnaissance des processus locaux de surveillance à l’intérieur et à l’extérieur de ces parcs est vitale pour comprendre pourquoi les communautés autochtones peuvent être les plus aptes à « combler les lacunes ».

Ainsi, les autorités des parcs pourraient améliorer la protection, tout en canalisant les rares fonds là où ils sont nécessaires.

Par conséquent, plutôt que de remplacer les systèmes locaux de gestion, acte qui pourrait s’avérer coûteux pour les Hommes et pour la faune, nous devons trouver des moyens pour les renforcer. Nous devons également identifier les préoccupations et les pratiques locales afin de mieux aligner les objectifs de protection et de subsistance.

En tant que chercheurs, notre défi consiste à décrire et à caractériser ces systèmes souvent informels et oubliés, tout en fournissant les preuves de leur efficacité.

A l’échelle mondiale, le cas des Bochiman du Kalahari au Botswana est un exemple parmi d’autres de communautés autochtones luttant pour vivre avec des règles qui leur sont imposées au nom de la « protection » de la nature.

Cependant, nous bénéficions de la nourriture, de l’eau propre et de l’air pur que fournissent leurs paysages.

Nous devons travailler ensemble et obtenir leur consentement afin d’établir un fondement éthique par lequel nous pouvons atteindre les objectifs de protection à long terme.

Après tout, ils sont les derniers gardiens de notre monde naturel. Sans leur soutien, il ne resterait pas grand chose à protéger.

Douglas Sheil est associé chevronné du CIFOR et scientifique à l’Université norvégienne des sciences de la vie. Il peut être contacté à l’adresse Douglas.Sheil@nmbu.no.

Manuel Boissière est scientifique au CIRAD, détaché auprès du CIFOR et basé à Bogor en Indonésie. Il peut être contacté à l’adresse m.boissiere@cgiar.org.

Guillaume Beaudoin est scientifique basé au CIFOR à Bogor en Indonésie. Il peut être contacté à l’adresse g.beaudoin@cgiar.org.

Les recherches citées dans cet article ont été réalisées en partenariat avec le Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement et Conservation International.

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