Ebola et la viande de brousse en Afrique : séance de Q & R avec le chercheur principal

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Des dizaines de millions d’Africains dépendent de la viande de brousse et du poisson sauvage qui fournissent 80 % de leurs protéines. Les appels à mettre un terme au commerce de ces denrées en raison de leurs liens avec Ebola pourraient ne jamais aboutir, selon Robert Nasi, Directeur-Général adjoint du Centre de Recherche Forestière Internationale.

Il a indiqué que les personnes vivant dans le Bassin du Congo en Afrique consomment chaque année près de 5 millions de tonnes de viande de brousse – depuis les chenilles jusqu’aux éléphants.

« Cela représente l’équivalent de la production de bétail du Brésil ou de l’Union Européenne. La viande de brousse est la source de protéines la moins chère qui existe en dehors des chenilles. »

Nasi – qui étudie le commerce de viande de brousse depuis 10 ans – a déclaré que produire la même quantité de viande à travers l’élevage impliquerait de convertir jusqu’à 25 millions d’hectares de forêt en terres agricoles – soit environ la superficie de la Grande-Bretagne.

La chasse pour la viande de brousse est en grande partie illégale dans de nombreux pays en Afrique, mais une application laxiste de la loi mine les efforts déployés pour mettre un terme à ce commerce. Rien qu’au Cameroun, on estime le nombre de chasseurs à 460 000.

Nasi a déclaré qu’avec la croissance démographique et l’amélioration des infrastructures routières et des transports, on devrait s’attendre une multiplication des épidémies d’Ebola et d’autres maladies.

Q: Quel est le lien entre Ebola et la viande de brousse ?

R: Les chauves-souris sont un des vecteurs de transmission d’Ebola.  Il est très probable que les primates – gorilles, chimpanzés notamment – soient infectés par les excréments de chauves-souris ou les fruits à moitié mangés par les chauves-souris que les chimpanzés et les gorilles consomment. Ebola tue ces animaux, chaque année probablement plus d’entre eux que d’êtres humains.

Les animaux morts sont ensuite retrouvés en forêt par les populations locales, qui les ramassent et les utilisent pour la consommation, ou dans le cas d’un gorille quelquefois pour des pratiques culturelles ou ceremoniales. La transmission du virus s’effectue ensuite par le contact lors du du dépeçage des animaux.

Mais il existe également un lien possible avec les animaux domestiques, car il semble que les cochons et les chiens sont également infectés par Ebola sans présenter de signes de la maladie.

Dans le cas actuel qui s’est ensuite répandu en Guinée, au Libéria, au Sierra Leone, au Nigeria et au Sénégal, le patient zéro (le premier patient à avoir été infecté) est un enfant agé de deux ans. Il est très improbable que cet enfant de deux ans ait été lui-même en forêt chercher de la viande de brousse. Il est donc plus probable qu’il ait été contaminé par des excréments de chauves-souris, des excréments de rongeurs, par des fruits, ou via un autre vecteur.

Antilope à vendre en Guinée, Afrique. Des dizaines de millions de personnes en Afrique de l'ouest et centrale se dépendent sur la viande de brousse pour la sécurité alimentaire. Terry Sunderland/CIFOR photo

Antilope à vendre en Guinée, en Afrique de l’Ouest. Des dizaines de millions de personnes en Afrique de occidentale et centrale dépendent de la viande de brousse pour leur alimentation. Terry Sunderland/CIFOR photo

Q: Qu’est-ce que la viande de brousse ?

R: Si l’on met de côté les invertébrés comme les chenilles, cela comprend tout ce qui existe entre un écureuil de 200 grammes et un éléphant. Ce sont des animaux qui sont tués pour leur viande, à la difference de ce que qu’on peut voir dans les médias lorsqu’on traite du commerce illégal d’animaux sauvages. Il ne s’agit pas de cornes de rhinocéros, et il ne s’agit pas d’ivoire. Il s’agit de personnes qui tuent des animaux pour les consommer. C’est de la chasse pour se nourrir, une activité humaine très ancienne.

Q: Combien de personnes consomment de la viande de brousse ?

Nous parlons probablement de dizaines de millions de personnes.

Si on va dans un village, un village rural au Cameroun, au Gabon ou en République Démocratique du Congo, les personnes qui y vivent – parce qu’elles n’ont pas d’autre alternative – consomment toutes de la viande de brousse. Si vous allez en ville, les coutumes sont alors différentes. Dans de nombreux endroits, la viande de brousse est la source de protéines la moins chère, chenilles exceptées.

Dans les régions rurales du Bassin du Congo ou en Amérique latine, les populations tirent  de 30% à 80% de leurs protéines de ces animaux ou poissons sauvages. On ne peut pas leur dire d’arrêter de manger de la viande brousse, à moins de leur proposer une alternative. Le bétail domestique en serait une. Le problème est que si on considère la quantité de viande de brousse consommée dans le bassin du Congo, soit 5 millions de tonnes par an, cela représente l’équivalent de la production de bétail du Brésil ou de l’Union Européenne. Cela signifie que si on souhaite produire cette même quantité de viande de bétail dans la région du Bassin du Congo, il faudra procéder à la déforestation de 20 à 25 millions d’hectares de forêt.

Q: Le commerce de viande de brousse est-il durable ?

En s’appuyant sur l’ensemble des données dont nous disposons, même pour les espèces les plus résilientes, celles qui se reproduisent très rapidement – les rongeurs, les rats, les souris – il semble que dans de nombreuses zones leurs populations sont en régression. Il y a donc une diminution générale de ces populations en raison de la surexploitation dans certains endroits.

Pour moi, la crise n’est pas seulement le fait que quelques animaux très importants, très précieux sont tués. C’est le fait que même les plus petits, les rongeurs,  sont tués et ne sont pas suffisamment remplacés. Nous allons donc avoir un sérieux problème en termes de sécurité alimentaire.

Nous disposons de données qui montrent qu’il existe une très forte corrélation entre la présence de viande de brousse dans le régime des populations et le rachitisme des enfants dans le Bassin du Congo. Dans les régions des forêts où les gens ont suffisamment de viande de brousse, le rachitisme est presque inexistant, de l’ordre de 10%. En marge de la forêt, là où les gens sont nombreux et ont déjà chassé presque toute la viande de brousse jusqu’à sa disparition, le rachitisme est de l’ordre de 60%. Et cela ne change pas avec le bétail domestique.

Cette viande, ce gibier, est très riche en nutriments. C’est donc une contribution très importante – bien que  minime – au régime alimentaire.

 

Le commerce de viande de brousse menace les espèces de mammifères en voie de disparition, dont le gorille des plaines occidentales au Cameroun. Edmond Dounias/CIFOR photo

Le commerce de viande de brousse menace les espèces de mammifères en voie de disparition, dont le gorille des plaines occidentales au Cameroun. Edmond Dounias/CIFOR photo

Q: Le commerce de la viande de brousse est-il légal ?

95% de la viande de brousse est abattue illégalement. Les lois ne sont pas bien conçues. On ne peut pas dire qu’il y ait partout une interdiction sur la viande de brousse. Mais l’ensemble du secteur est criminalisé partout.

Et pourtant, si vous regardez les données dont nous disposons sur le Cameroun, nous estimons qu’il existe près de 460 000 chasseurs dans le pays. Cela signifie qu’on a 460 000 criminels. On ne peut pas procéder ainsi. Il faut adapter les politiques et les décisions de façon à ce qu’elles puissent être appliquées. Certains sont des criminels – ceux qui tuent les éléphants dans les zones protégées. Les autres, qui tuent les rongeurs qui mangent leurs récoltes, constituent un cas différent.

Un chasseur dans la Réserve de Tumba-Lediima, République démocratique du Congo. La chasse de viande de brousse ne cessera pas à moins que les populations locales sont offerts une alternative, un expert du CIFOR dit. Ollivier Girard/CIFOR photo

Un chasseur dans la Réserve de Tumba-Lediima, en République Démocratique du Congo. La chasse de viande de brousse ne cessera pas à moins qu’une alternative soit proposée aux populations locales, dit  un expert du CIFOR. Ollivier Girard/CIFOR photo

Q: Le monde devrait-il s’attendre à d’autres épidémies d’Ebola ?

R: Nous devrions probablement nous attendre à une flambée épidémique de ce type de maladies. Aujourd’hui c’est Ebola, mais demain ce sera le virus Marburg qui est le deuxième membre de la famille du Filovirus similaire à Ebola, ou le virus Lassa. Nous devrions nous attendre à un plus grand nombre d’épidémies en raison de l’accroissement démographique, de l’amélioration des transports, et également parce que nous savons mieux détecter les maladies. Ebola n’est pas apparu en 1975 au moment où l’on a enregistré les premiers décès au Congo et au Soudan. Il est parmi nous depuis très longtemps. Simplement, auparavant les gens mouraient et personne ne savait que c’était dû à Ebola.

Je ne pense pas qu’il y existe un risque important de pandémie. Le problème dans ce dernier cas c’est que les gens, les médecins en Guinée, n’ont pas diagnostiqués suffisamment rapidement qu’il s’agissaient de cas d’Ebola. Et comme il y a des échanges commerciaux en permanence entre la Guinée, la Sierra Leone et le Libéria, et qu’ils sont habités par les mêmes groupes ethniques, la propagation a été très rapide. Mais si on prend la République Démocratique du Congo, il y a maintenant une épidémie d’Ebola dans le pays. Tout d’abord, c’est dans une région reculée. Pour s’y rendre il faut faire 600 km, et il n’y a pas de route. L’épidémie ne sortira donc pas de la région.

Je ne pense donc pas qu’il y ait un grand risque de voir le virus Ebola actuel devenir une pandémie mondiale. Si demain on me disait que le virus a muté et qu’il est transmissible par l’air, ce sera alors une perspective terrifiante, mais cela ne s’est pas produit jusque-là.

Bushmeat sold in the local market at Ebolowa, Cameroon, Africa.   Photo by Colince Menel for Center for International Forestry Research (CIFOR).

Les femmes vendent de la viande de brousse sur un marché à Ebolowa, au Cameroun. En Afrique, tandis qu’habituellement les hommes chassent et transportent la viande de brousse, les femmes ont un rôle plus important dans la vente. Colince Menel/CIFOR photo

Q: Quel rôle la recherche sur le commerce de viande de brousse peut-elle jouer pour aider à contenir Ebola ?

R: Il est important de comprendre l’ensemble de la chaîne depuis le décès de l’animal tué ou trouvé mort dans la forêt, jusqu’à la carcasse ou les morceaux vendus sur le marché en ville, parce que si on veut intervenir sur l’ensemble de la chaîne de valeur, il faut savoir qui est chargé du transport, qui est le grossiste, qui est le détaillant, et enfin, qui est l’acheteur. Sans comprendre tout cela, il est extrêmement difficile d’agir sur la chaîne de la valeur. Comme l’ensemble de la chaîne de valeur de la viande de brousse est criminalisée, personne ne se lève pour dire, bien, c’est moi ; je chassais simplement pour de la viande.

Nous devons donc mener cette recherche sur ce secteur informel, ce qui est assez compliqué. Pour comprendre comment il fonctionne et où on peut agir, d’une certaine façon. On peut agir en fournissant de meilleures informations aux chasseurs pour qu’ils soient moins susceptibles de chasser ; ou on peut agir en décourageant les populations en ville à acheter de la viande de brousse et faire en sorte qu’elle soit plus onéreuse pour elles.

Il y a beaucoup d’actions, mais se contenter de dire arrêtez de chasser ne donnera rien, pour les raisons que j’ai déjà évoquées. Et dans le cas d’Ebola, ce qui est vital c’est la compréhension du virus et sa transmission, depuis la chauve-souris dans la forêt jusqu’au garçonnet ou à la fillette de 2 ans en Guinée — c’est quelque chose que nous devons absolument comprendre.

 

Contact médias: Joan Baxter, Coordinatrice des communications régionales pour l’Afrique, j.baxter@cgiar.org ou +254 72 640 7140

 

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