L’équilibre bois-aliments stabilise les moyens de subsistance des petits exploitants en Amazonie

Les fruits, feuilles, huiles et graines tropicaux issus de la forêt amazonienne fournissent de la nourriture, des médicaments et des revenus pour des millions de personnes, mais leur importance socio-économique pour les petits exploitants ne doit pas être effacée par les revenus créés par le commerce du bois
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CIAT/Neil Palmer

Près de la moitié des espèces arboricoles dans l’État brésilien de Pará appréciées par les petits exploitants pour satisfaire les besoins nutritionnels et de santé sont également abattus pour servir de bois d’œuvre, selon des recherches. CIAT/Neil Palmer.

LIMA, Pérou (7 Mai 2013) – Les fruits, feuilles, huiles et graines tropicaux issus de la forêt amazonienne fournissent de la nourriture, des médicaments et des revenus pour des millions de personnes, mais leur importance socio-économique pour les petits exploitants ne doit pas être effacée par les revenus créés par le commerce du bois, disent les scientifiques.

Près de la moitié des espèces d’arbres dans l’État brésilien fortement boisé de Pará appréciées par les petits exploitants pour satisfaire les besoins nutritionnels et de santé sont également abattus pour servir de bois d’œuvre, selon les recherches, ce qui a mener à leur désignation par les scientifiques en tant que espèces «à usage conflictuel».

«Sur une grande échelle, la fragmentation et la perte d’espèces végétales et animales résultant de la déforestation entraîne des conséquences incalculables pour la biodiversité amazonienne et pour la valeur et la fonction des écosystèmes», a expliqué Patricia Shanley, une scientifique travaillant avec le Centre pour la Recherche Forestière Internationale (CIFOR), qui présentera une étude durant la prochaine Conférence Internationale sur les Forêts pour la Sécurité Alimentaire et la Nutrition organisée par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

«La baisse de la disponibilité du gibier, des fruits et des plantes médicinales peut entraîner des carences nutritionnelles, des maladies et la perte de revenus provenant des produits forestiers», a-t-elle dit.

Environ 60% du terrain dans le très grand État, qui se trouve dans la région amazonienne à l’est du Brésil, est vulnérable à l’exploitation forestière.

Les produits ligneux issus de l’exploitation forestière dans la zone représentent 47% de tout le bois produit dans l’Amazonie brésilienne et en 2009 ils ont généré 1,1 milliard de dollars de recettes, selon une étude citée dans un article coécrit par Mme Shanley.

L’Amazonie brésilienne, avec une population de près de 25 millions – dont plus de 300.000 personnes indigènes – représente près de 60% du territoire brésilien, selon les statistiques*.

Dans l’ensemble, les produits ligneux au Brésil ont généré 1,7 milliard de dollars de recettes provenant de la production extractive en 2009, tandis que d’autres produits forestiers non ligneux ont généré 293 millions de dollars, selon l’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique (IBGE).

Toutefois, ces statistiques créent une fausse impression, car ils montrent seulement quelques produits forestiers non ligneux exportés, tout en négligeant la vaste gamme de produits forestiers utilisés et commercialisés au niveau local et régional, selon le rapport.

«Les produits forestiers non ligneux sont importants pour les communautés locales, car ils offrent une variété de produits ayant une subsistance nutritionnelle et une valeur commerciale pour un usage local ou pour l’exportation», a dit Manuel Guariguata, chercheur au CIFOR, en ajoutant que la région de l’Amazonie est également menacée par l’expansion agricole.

Les espèces à usage conflictuel

Mme Shanley et autres chercheurs du CIFOR ont mené une étude sur trois produits provenant d’espèces à usage conflictuel du Pará, prisées pendant des siècles à la fois pour leurs ressources ligneuses et non-ligneuses : les graines de l’arbre Cumaru (Dipteryx odorata), le latex amer de l’Amapá amargoso (Parahancornia fasciculata) et le fruit nutritif de l’arbre Uxi (Endopleura uchi).

Le latex de l’Amapá, qui est tiré de l’arbre, a une valeur médicinale et est utilisé pour traiter les maladies respiratoires, y compris la tuberculose. Le fruit de l’Uxi a des niveaux élevés de vitamines C et B et est riche en éléments nutritifs tels que le potassium, le magnésium et le phosphore. L’arbre est également valorisé car il attire le gibier, qui est une importante source de nutrition pour les personnes vivant dans la région.

Le Cumaru est prisé pour son bois et ses graines aromatiques sont vendues aux États-Unis, en Europe, en Inde, en Chine et à Hong Kong pour une utilisation dans l’industrie du parfum. En 2009, 97 tonnes de semences du Cumaru ont été exportés pour environ 397 millions de dollars, selon l’IBGE.

Environ 2.700 familles dans la zone d’étude récoltent les graines du Cumaru. Le prix moyen des semences a plus que doublé entre 2008 et 2010, passant de 2 dollars à 4,30 dollars le kilogramme.

Si un arbre Cumaru est vendu pour le bois, sa valeur est d’environ trois fois la valeur de la récolte de graines d’une année, selon Tadeu Melo de l’Université fédérale d’Acre, qui a travaillé avec Mme Shanley pour étudier la gestion du Cumaru. « Toutefois, en trois ans de récolte des semences, une famille peut gagner l’équivalent du prix de vente du bois et l’arbre continuera à être une source de graines, pendant des décennies, les familles de cette région ont subvenu aux besoins de leur famille grâce à la vente de graines », a expliqué Mr Melo.

Les petits exploitants ont tendance à gérer la production de manière durable – à trouver un équilibre entre les usages conflictuels.

«La clé pour décider quand et comment choisir entre la vente du bois ou la récolte de produits forestiers non ligneux est de savoir si oui ou non il existe un marché pour les deux produits. S’il y a seulement un marché pour le bois, les gens vont se concentrer sur la gestion du bois. S’il y a seulement un marché pour les semences, ils vont vendre les semences. S’il y a un marché pour les produits ligneux et non ligneux, il est plus avantageux à long terme de préserver les arbres et vendre les semences.»

Les petits exploitants du Pará gèrent la forêt pour les produits ligneux et non ligneux, en prenant généralement les avantages des graines, des fruits et du latex produits par les arbres durant leurs années les plus productives et en vendant les arbres plus âgés et moins productifs pour le bois.

Dans une étude distincte sur l’Andiroba (Carapa guianensis) dans l’État d’Acre à l’ouest du Brésil, la chercheuse Christie Ann Klimas de l’Université de Floride a constaté que cette approche de la gestion forestière est une stratégie durable, également utilisée pour la gestion des arbres dans les forêts saisonnièrement inondées.

Les petits exploitants ont surveillé la productivité d’arbres individuels et ont pu identifier ceux qui n’ont pas été aussi productifs et qui seraient plus rentables à être vendus pour le bois.

Mme Klimas a noté que les petits exploitants qui gèrent leurs forêts pour des usages multiples ont souvent une connaissance plus détaillée des arbres que les forestiers professionnels.

Les chercheurs devraient s’appuyer sur ces connaissances pour combler les lacunes en matière d’information sur les produits forestiers non ligneux, a dit Mme Shanley.

«Les petits exploitants dans certaines zones de l’Amazonie soutiennent des fonctions multiples et essentielles qui ont des répercussions au-delà de la sphère locale», a-t-elle dit.

«Ils apportent à la compréhension scientifique par l’expérimentation et la production de connaissances sur les espèces moins connues. Ils fournissent également les marchés locaux en aliments d’une haute valeur nutritive et sanitaire, ils protègent les services écosystémiques essentiels et ils conservent les espèces qui ont des valeurs multiples pour la société.»

La gestion des forêts à usage multiple

Malgré l’importance des produits forestiers non ligneux pour les moyens de subsistance locaux, les politiques officielles de gestion forestière négligent souvent ces espèces.

Leur accorder plus d’attention pourrait conduire à une analyse coûts-bénéfices plus précise et une meilleure planification de l’usage du territoire, a dit Mme Shanley.

«Les politiques qui favorisent la sécurité de la propriété foncière, ainsi que la collecte et le commerce des produits forestiers non ligneux par les petits exploitants peuvent aider à soutenir les conditions nécessaires à la gestion des forêts à usages multiples», a-t-elle dit.

Vu que la plupart des petits exploitants ne dépendent pas seulement des forêts, mais s’engagent également dans l’agriculture et dans d’autres activités produisant des revenus, les politiques doivent tenir compte de toutes ces stratégies de subsistance, selon Mr Guariguata.

«Il est important de concevoir et de mettre en œuvre des politiques qui soutiennent les producteurs ruraux qui pratiquent une variété d’activités économiques», a-t-il dit.

«Le bois, les produits forestiers non ligneux, l’agriculture, la pêche et autres activités productives sont généralement réglementés en désaccord. Si on promouvait activement une vision à usage multiple incluant non seulement le bois et les produits non ligneux, mais aussi d’autres activités productives à côté de la forêt, un paysage véritablement multifonctionnel pourrait être conçu.»

Ce travail est soutenu par le Programme de Recherche sur les Forêts, les Arbres et l’Agroforesterie du CGIAR.

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